Basé sur l’article à venir d'Adam Touré, Martin Trépanier et Thierry Warin
Alors que les discussions de politique commerciale autour de la prochaine révision trilatérale de l'ACEUM s'intensifient, l'attention se limite souvent aux déficits et excédents commerciaux bilatéraux. Cependant, un nouveau document de travail de notre laboratoire renforce l'idée que regarder le commerce à travers une simple lorgnette transactionnelle manque l'intégration structurelle de l'économie nord-américaine.
Touré, Trépanier et Warin appliquent la science des réseaux aux tableaux entrées-sorties inter-pays de l'industrie de l'OCDE de 2022 pour étudier les économies canadienne et américaine en tant que réseau fermé. En assignant les industries comme des nœuds et leurs flux d'entrées-sorties comme des arêtes, les auteurs révèlent le système nerveux de cette économie partagée.
Les économies des deux pays sont un maillage interdépendant
Les données commerciales traditionnelles traitent les frontières administratives d'un pays comme des compartiments séparés à travers lesquels les entreprises achètent et vendent des biens. La structure de réseau construite à l'aide des données E-S révèle une réalité différente. Nous voyons deux grappes denses où les industries canadiennes et américaines sont inextricablement liées.

La visualisation montre qu'il n'y a pas de « frontière » nette dans le réseau économique. Au lieu de cela, nous voyons un écosystème interdépendant avec deux cœurs. Les industries canadiennes sont plus étroitement connectées entre elles qu'avec les américaines, et la même chose est vraie dans l'autre direction. Pourtant, les industries dans ces deux cœurs ont un grand nombre de connexions entre elles. Cela suggère que les mesures protectionnistes visant une industrie étrangère spécifique sont susceptibles de se répercuter et d'impacter les secteurs domestiques en raison de ces ponts transfrontaliers denses.
Le noyau systémique basé sur les services
Un modèle crucial émerge dans l'analyse du réseau de l'étude utilisant les métriques de la Random Walk Centrality et du Counting Betweenness. Les industries dans le quadrant supérieur droit agissent comme le noyau systémique. Alors que nous nous concentrons souvent sur la fabrication dans les différends commerciaux, le graphique identifie les services professionnels américains, la finance et l'assurance, et les services administratifs comme étant les industries dominantes dans le réseau.

Les métriques utilisées ici sont révélatrices. Les industries avec une haute Random Walk Centrality exercent des effets directs immédiats et massifs sur l'économie. Pendant ce temps, celles avec un haut Counting Betweenness agissent comme des ponts ou des super-connecteurs à travers lesquels la vaste majorité de l'activité économique circule.
Cela souligne un passage d'une vision du commerce centrée sur la fabrication à une vision centrée sur les services. Les services professionnels ne sont pas juste un secteur, mais plutôt l'infrastructure sur laquelle le commerce de la fabrication et des ressources compte pour fonctionner. Perturber le flux des biens met invariablement sous tension le réseau de services qui gère ces flux.
La force repose sur l'intégration
L'analyse de la force de sortie et d'entrée (Out- and In-Strength) révèle aussi des perspectives intéressantes. Les industries qui sont des fournisseurs majeurs au réseau (en proportion de leur production totale) ont le plus grand ratio de flux sortants sur flux entrants tel que montré par l'indice d'influence. Pendant ce temps, les plus grandes industries importatrices dans le réseau ne sont pas toujours des fournisseurs majeurs mais sont plus basées sur les biens que sur les services. Contrairement à la métrique précédente où les industries américaines jouent un rôle relativement plus grand, cette métrique montre que les industries canadiennes ont aussi une position dominante dans le réseau.

Des nœuds notables comme le Commerce de gros et de détail américain et le Commerce de gros et de détail canadien siègent au sommet de cette hiérarchie. Cela indique que les joueurs les plus influents dans notre économie partagée sont basés sur les services et de nature distributive. Ils agrègent les intrants et les distribuent à l'économie plus large. L'analyse montre que l'on ne peut pas isoler un exportateur fort sans reconnaître sa dépendance au réseau pour les intrants.
Implications pour la révision de l'ACEUM
L’analyse suggère que la relation économique entre le Canada et les États-Unis a évolué au-delà d’un simple partenariat pour devenir une interdépendance structurelle. L’indice d’influence calculé dans l’article indique que séparer ces économies ne relèverait pas d’une intervention chirurgicale ciblée, mais plutôt de la perturbation d’un organe unique et commun.
Alors que les décideurs naviguent les tensions actuelles, cette perspective de réseau offre un rappel sobre qu'il n'y a pas d'événements isolés dans un système aussi étroitement couplé.
